Tout dire en parlanjhe : Grigoere en petrasse

Ce texte est extrait de La Misére daus paesans au sujhét daus manjhours é daus aprentis manjhours de Francois Gusteau (1699-1761) qui fut curé de Champagné-les-Marais et de Doix (Marais poitevin). Denis et Lucas dans un dialogue satirique de 471 vers s’en prennent aux manjhours, c’est-à-dire à tous ceux qui pressurent les paysans comme nobles, agents du fisc, soldats, et même les écoliers pilleurs de jardins et de vergers (les aprentis manjhours). Dans cet extrait, Lucas raconte les démêlés de Grigoere avec un huissier venu saisir sa vache.

İn de çhés rouinours, dunt te véns de parlàe,
Vénghit in de çhés jhours, sen se faere priàe,
Den le petit carai dau foussai de la Mote,

Prenre de part le Ràe çhéle vache Calote
Que ll’achetit entour dau cabanàe Jhorjhét.
İ ne sé déjha pu ce qu’ol ét qu’a coutét.
Ni pu ni moén, la vache étét é béle é boune.

O ne fàut dunque poén, Denis, que te t’étounes
Si Grigoere fasit de sés pais, de sés méns,
Pr enpaechàe de manjhàe sun pauvre gagne-pén :
Le sérjhent fut batu, sa ruque fut pégnàie ;

Ll’avét en mile endréts sa face égrafignàie.
Mé le fut le pu fort, aedai de sun recors,
Qui sésissant d’abord la vache pr lés cors,
Li fésit in licou d’ine de sés jhartéres.

O dame ! o fut içhi que Grigoere en colére
Dissit au grafinour, li dounant mile nums :
« Va, va, t’és pu chéti cent foes que lés démuns,
Voleùr de pauvres jhents, daus oumes le pu mablle.

İ ae dounai mile foes ma vache a touts lés diablles,
İ lés fasàe trenbllàe, tant fort i renacàe,
Jhamae, pr l’enlevàe, gn’ant fét le moéndre pas.
Mé, tàe, chéti coçhin, te n’as jha fét de ménme :

Sen étre demandai, pr boutràe cunbae t’aemes
A rouinàe lés jhents, te véns pr l’enmenàe.
Va, bélitre ! vaurén ! te dés remérciàe
Que t’és pu fort que màe, quar sen çheù ta carcasse

Sérvirét den lés chanps a chaçàe lés ajhaces.
İ hacheràe ta chaer en si petits morceas
Que le pu grous téndrét en le béc d’in osea ! »

François Gusteau, La Misére daus paesans, La Crèche, Geste éditions, 1999, p. 25-26.

vénghit : vint ; le Ràe : le roi ; entour dau cabanàe : auprès du « cabanier », fermier ; sés pais : ses pieds ; le sérjhent : l’huissier ; sa ruque : perruque ; sun recors : son agent ; lés cors : les cornes ; chéti : mauvais ; mablle : minable ; renacàe : renâclais ; gn’ant fét: ils n’ont fait ; pr boutràe : pour montrer ; lés ajhaces/yaces/gnaces : les pies ; in osea : un oiseau

Activités

1 Combien de personnages comporte ce récit ?

2 Quels mots nous indiquent où se déroule précisément l’histoire ?

3 Que signifient ici les mots sérjhent, recors ? Que signifient-ils aujourd’hui en français ?

4 Que signifie grafinour ? Cherchez dans le texte un mot de la même famille. L’étymologie de ces mots comme du français « orthographe » est le verbe grec graphein qui signifie « écrire ». Quels rapports de sens établissez-vous ?

5 Comment s’appellent en français et en poitevin-saintongeais les engins destinés à faire peur aux oiseaux ?

6 Le diablle o z-enporte ! (que le diable emporte cette chose !) est pris au sens propre dans certains contes. En connaissez-vous ? Vous pouvez en imaginer un.